Apports de la micromorphologie des sols à l’interprétation de trois séquences pédo-sédimentaires lorraines fossiles bien datées.
GEBHARDT Anne1,2,5 GEORGES-LEROY Murielle3, ROHMER Pascal2, TRIBOULOT Bertrand4,5
1 : ERL 7230, Laboratoire Image, Ville et Environnemement, Université de Strasbourg ; anne.gebhardt-even@inrap.fr ; 2 : INRAP ; 3 : DRAC Lorraine, UMR 6249 Chrono-environnement ; 4 : SRA Ile de France, UMR 7044 Etude des Civilisations de l’Antiquité, 5 : ARCHEO VOSGES
Cette étude micromorphologique de trois séquences pédo-sédimentaires lorraines, fossiles bien datées, a été présentée par Anne Gebhardt aux 10èmes Journées d’Etude des Sols de Strasbourg, les 11-15 mai 2008 dans la session : Archives pédologiques. Elle permet de mieux comprendre l’impact des activités agropastorales anciennes sur les sols et souligne une fois de plus l’intérêt de cette méthode à la compréhension des interactions passées entre l’homme et le milieu.
Implantée dans la boucle de la Moselle entre Nancy et Toul et limitée à l’Est par la Côte Bajocienne surplombant la vallée de la Meurthe et sa confluence avec la Moselle, la Forêt de Haye, a fossilisé plus de 8000 ha de vestiges d’habitats et agraires. Ces derniers sont de vastes pierriers en élévation ou des talus, développés sur plusieurs centaines de mètres de long, délimitant parcelles, enclos ou chemins et fréquemment associés à des tas de pierres circulaires. En relation avec ces structures agraires, les travaux de l’équipe (Georges-Leroy et al, 2007) révèlent, le développement sur le plateau de petits habitats et annexes agricoles dispersés, au cours du 1ers de notre ère. L’étude micromorphologique d’un sol ancien localisé en limite d'un habitat révèle deux phases d’évolution avant recouvrement par un tas d’épierrement. A la base une racine de sol de type brun lessivé (luvisol) développé sous un couvert forestier et caractérisé par de nombreux revêtements argileux limpides non perturbés est encore intacte. Le sommet du paléosol apparaît fortement anthropisée au cours du premier siècle après Jésus-Christ avec, d’abondants revêtements poussiéreux révélateurs de l’ouverture du milieu et la mise à nu du sol, et de nombreux éléments charbonneux et phosphatés liés à l’amendement des parcelles (Georges-Leroy et al, en prép). Améliorant le sol, ces apports phosphatés anciens influencent encore la croissance de la végétation actuelle de la forêt de Haye (Dupouey et al, 2002 ; Dupouey et al, 2007), confirmant le rôle majeur de l’histoire des sols sur les variations actuelles de la biodiversité.
A Imling, dans le pays de Sarrebourg, des fouilles archéologiques dirigées par Pascal Rohmer, ont mis au jour une villa gallo-romaine du début du Ier siècle après Jésus-Christ occupée pendant plus de trois siècles. Dans la cour de la villa, des bâtiments annexes, des fossés de drainage et un bassin qui servait à nettoyer les sabots des bêtes de trait après les labours (aigayoir), semblent marquer la vocation agricole de l’ensemble. Sous les dépôts très anthropisés d’abandon de la villa (mortiers, revêtements argileux poussiéreux) l’analyse au microscope révèle une racine de sol de type brun lessivé (microstructure finement agrégée, revêtements argileux limpides) sur laquelle repose en discordance des dépôts colluvionnés (fragments de Bt remaniés, nodules de fer arrondis, fragments de semelle de labour) qui marque une forte érosion antérieure à la construction de la villa romaine
Le site de hauteur de « Varinchâtel » (Saint-Benoît-la-Chipotte, 88), cerné par deux enceintes talutées, est le plus ancien habitat celtique fortifié connu dans le département des Vosges (Triboulot et Michler, 2006a). A une trentaine de mètres en contrebas du sommet, une petite carrière moderne laisse apparaître une séquence pédo-sédimentaire issue de l’altération des grès permiens, scellée sous l’enceinte secondaire datée du Vème s. av. Jésus-Christ (Triboulot et Michler, 2006b). Les revêtements d’argiles limpides remaniés observés à la base de la séquence attestent l’érosion d’un sol atlantique développé sous couvert forestier. Précédant l’enfouissement, il y a 2500 ans, une forte anthropisation (nombreux charbons) et une mise à nu du sol (abondants revêtements poussiéreux en place) succède à cette phase de dégradation forestière. Au cours des deux derniers millénaires l’érosion se poursuit, formant une seconde séquence pédo-sédimentaire qui vient recouvrir le rempart. En accord avec les quelques autres résultats paléo-environnementaux du secteur (Guillet, 1972 ; Kalis et al, 2006), cette étude révèle une forte perturbation humaine sur le paysage dès l’époque gauloise dans les Vosges gréseuses, dont les reliefs dénudés ne ressemblaient pas à ceux couverts de forêts d’aujourd’hui.
Si la confrontations de ces premiers résultats à ceux d’autres travaux paléo-environnementaux reste nécessaire, ces exemples montrent combien les sols lorrains ont été localement influencés, à des degrés variables, par les activités humaines depuis au moins 2500ans. Sur les pentes des montagnes vosgiennes gréseuses, l’érosion semble plus rapide et plus précoce. Sur le substrat marneux et les pentes plus douces du pays de Sarrebourg, les formations pédologiques semblent affectées plus tardivement par l’impact humain, il y a moins de deux millénaires. Dans ces deux cas, l’érosion semble dominante, liée à une mise à nu du sol peut-être d’origine agraire. Bien que fortement anthropisé, le profil pédologique de la Forêt de Haye ne montre pas d’érosion intense à l’aplomb du pierrier, ce dernier ayant sans doute très vite scellé un sol que l’enrichissement organiques a pu stabiliser. La formation de terrasses agricoles participant au maintien des sédiments, suggère un paysage agraire maîtrisé.
Si elle n’atteint pas les proportions dramatiques actuelles, l’ampleur de l’érosion agraire passée n’en reste pas moins significative et étonnement précoce.
Bibliographie
Dupouey, J.-L., Dambrine, E., Laffite, J.-D., Moares, C., 2002, Irreversible impact of past land use on forest soils and biodiversity, Ecology, 83(11), p. 2978-2984.
Dupouey J.-L., Sciama D., Lafitte J.-D., Georges-Leroy M., Dambrine E., 2007, Impact des usages agricoles antiques sur la végétation en Forêt de Saint-Amond : interaction avec le traitement sylvicole actuel., in La mémoire des Forêts, Colloque Sylva pp181-190.
Georges-Leroy M., Bock J., Dambrine E., Dupouey J.-L., Gebhardt A., Laffite J.-D., en prep., Un paysage agraire gallo-romain conservé dans le massif forestier de Haye (Meurthe-et-Moselle), in Actes de la table-ronde de Caen « Des hommes aux hamps » octobre 2007.
Georges-Leroy M., Heckenbenner D., Lafitte J.-D., Meyer N., 2007, Les parcellaires fossilisés dans les forêts lorraines, La mémoire des Forêts, actes du colloque « forêt, archéologie et environnement, pp.121-131.
Kalis Arie J., Knaap W. O. van der, Schweizer Astrid, Urz Ralf, 2006, A three thousand year succession of plant communities on a valley bottom in the Vosges Mountains, NE France, reconstructed from fossil pollen, plant macrofossils, and modern phytosociological communities, Veget. Hist. Archaeobot., 15, pp 377–390.
Guillet B., 1972, Relation entre l’histoire de la végétation et la podzolisation dans les Vosges, Thèse de doctorat de l’université de Nancy, 112 p.
Triboulot B. et Michler M., 2006a, Aristocratie celtique sur les habitats fortifiés d’Etival-Clairefontaine/Saint-Benoît-la-Chipotte « Varrinchatel » et de Taintrux « Chastel », Nouvelles Archéologies, Bull. de la Soc. Philomathique Vosgienne, HS n°3, pp.21-30.
Triboulot B. et Michler M., 2006b, Nouvelles traces d’extraction de minerai dans la moyenne vallée de la Meurthe (88). Première campagne de prospection inventaire. Nouvelles Archéologies, Bull. de la Soc. Philomathique Vosgienne, HS n°3, pp.9-20.
Mot clefs : pédologie, micromorphologie des sols, érosion, évolution des paysages agraires, archéologie environnementale.
Implantée dans la boucle de la Moselle entre Nancy et Toul et limitée à l’Est par la Côte Bajocienne surplombant la vallée de la Meurthe et sa confluence avec la Moselle, la Forêt de Haye, a fossilisé plus de 8000 ha de vestiges d’habitats et agraires. Ces derniers sont de vastes pierriers en élévation ou des talus, développés sur plusieurs centaines de mètres de long, délimitant parcelles, enclos ou chemins et fréquemment associés à des tas de pierres circulaires. En relation avec ces structures agraires, les travaux de l’équipe (Georges-Leroy et al, 2007) révèlent, le développement sur le plateau de petits habitats et annexes agricoles dispersés, au cours du 1ers de notre ère. L’étude micromorphologique d’un sol ancien localisé en limite d'un habitat révèle deux phases d’évolution avant recouvrement par un tas d’épierrement. A la base une racine de sol de type brun lessivé (luvisol) développé sous un couvert forestier et caractérisé par de nombreux revêtements argileux limpides non perturbés est encore intacte. Le sommet du paléosol apparaît fortement anthropisée au cours du premier siècle après Jésus-Christ avec, d’abondants revêtements poussiéreux révélateurs de l’ouverture du milieu et la mise à nu du sol, et de nombreux éléments charbonneux et phosphatés liés à l’amendement des parcelles (Georges-Leroy et al, en prép). Améliorant le sol, ces apports phosphatés anciens influencent encore la croissance de la végétation actuelle de la forêt de Haye (Dupouey et al, 2002 ; Dupouey et al, 2007), confirmant le rôle majeur de l’histoire des sols sur les variations actuelles de la biodiversité.
A Imling, dans le pays de Sarrebourg, des fouilles archéologiques dirigées par Pascal Rohmer, ont mis au jour une villa gallo-romaine du début du Ier siècle après Jésus-Christ occupée pendant plus de trois siècles. Dans la cour de la villa, des bâtiments annexes, des fossés de drainage et un bassin qui servait à nettoyer les sabots des bêtes de trait après les labours (aigayoir), semblent marquer la vocation agricole de l’ensemble. Sous les dépôts très anthropisés d’abandon de la villa (mortiers, revêtements argileux poussiéreux) l’analyse au microscope révèle une racine de sol de type brun lessivé (microstructure finement agrégée, revêtements argileux limpides) sur laquelle repose en discordance des dépôts colluvionnés (fragments de Bt remaniés, nodules de fer arrondis, fragments de semelle de labour) qui marque une forte érosion antérieure à la construction de la villa romaine
Le site de hauteur de « Varinchâtel » (Saint-Benoît-la-Chipotte, 88), cerné par deux enceintes talutées, est le plus ancien habitat celtique fortifié connu dans le département des Vosges (Triboulot et Michler, 2006a). A une trentaine de mètres en contrebas du sommet, une petite carrière moderne laisse apparaître une séquence pédo-sédimentaire issue de l’altération des grès permiens, scellée sous l’enceinte secondaire datée du Vème s. av. Jésus-Christ (Triboulot et Michler, 2006b). Les revêtements d’argiles limpides remaniés observés à la base de la séquence attestent l’érosion d’un sol atlantique développé sous couvert forestier. Précédant l’enfouissement, il y a 2500 ans, une forte anthropisation (nombreux charbons) et une mise à nu du sol (abondants revêtements poussiéreux en place) succède à cette phase de dégradation forestière. Au cours des deux derniers millénaires l’érosion se poursuit, formant une seconde séquence pédo-sédimentaire qui vient recouvrir le rempart. En accord avec les quelques autres résultats paléo-environnementaux du secteur (Guillet, 1972 ; Kalis et al, 2006), cette étude révèle une forte perturbation humaine sur le paysage dès l’époque gauloise dans les Vosges gréseuses, dont les reliefs dénudés ne ressemblaient pas à ceux couverts de forêts d’aujourd’hui.
Si la confrontations de ces premiers résultats à ceux d’autres travaux paléo-environnementaux reste nécessaire, ces exemples montrent combien les sols lorrains ont été localement influencés, à des degrés variables, par les activités humaines depuis au moins 2500ans. Sur les pentes des montagnes vosgiennes gréseuses, l’érosion semble plus rapide et plus précoce. Sur le substrat marneux et les pentes plus douces du pays de Sarrebourg, les formations pédologiques semblent affectées plus tardivement par l’impact humain, il y a moins de deux millénaires. Dans ces deux cas, l’érosion semble dominante, liée à une mise à nu du sol peut-être d’origine agraire. Bien que fortement anthropisé, le profil pédologique de la Forêt de Haye ne montre pas d’érosion intense à l’aplomb du pierrier, ce dernier ayant sans doute très vite scellé un sol que l’enrichissement organiques a pu stabiliser. La formation de terrasses agricoles participant au maintien des sédiments, suggère un paysage agraire maîtrisé.
Si elle n’atteint pas les proportions dramatiques actuelles, l’ampleur de l’érosion agraire passée n’en reste pas moins significative et étonnement précoce.
Bibliographie
Dupouey, J.-L., Dambrine, E., Laffite, J.-D., Moares, C., 2002, Irreversible impact of past land use on forest soils and biodiversity, Ecology, 83(11), p. 2978-2984.
Dupouey J.-L., Sciama D., Lafitte J.-D., Georges-Leroy M., Dambrine E., 2007, Impact des usages agricoles antiques sur la végétation en Forêt de Saint-Amond : interaction avec le traitement sylvicole actuel., in La mémoire des Forêts, Colloque Sylva pp181-190.
Georges-Leroy M., Bock J., Dambrine E., Dupouey J.-L., Gebhardt A., Laffite J.-D., en prep., Un paysage agraire gallo-romain conservé dans le massif forestier de Haye (Meurthe-et-Moselle), in Actes de la table-ronde de Caen « Des hommes aux hamps » octobre 2007.
Georges-Leroy M., Heckenbenner D., Lafitte J.-D., Meyer N., 2007, Les parcellaires fossilisés dans les forêts lorraines, La mémoire des Forêts, actes du colloque « forêt, archéologie et environnement, pp.121-131.
Kalis Arie J., Knaap W. O. van der, Schweizer Astrid, Urz Ralf, 2006, A three thousand year succession of plant communities on a valley bottom in the Vosges Mountains, NE France, reconstructed from fossil pollen, plant macrofossils, and modern phytosociological communities, Veget. Hist. Archaeobot., 15, pp 377–390.
Guillet B., 1972, Relation entre l’histoire de la végétation et la podzolisation dans les Vosges, Thèse de doctorat de l’université de Nancy, 112 p.
Triboulot B. et Michler M., 2006a, Aristocratie celtique sur les habitats fortifiés d’Etival-Clairefontaine/Saint-Benoît-la-Chipotte « Varrinchatel » et de Taintrux « Chastel », Nouvelles Archéologies, Bull. de la Soc. Philomathique Vosgienne, HS n°3, pp.21-30.
Triboulot B. et Michler M., 2006b, Nouvelles traces d’extraction de minerai dans la moyenne vallée de la Meurthe (88). Première campagne de prospection inventaire. Nouvelles Archéologies, Bull. de la Soc. Philomathique Vosgienne, HS n°3, pp.9-20.
Mot clefs : pédologie, micromorphologie des sols, érosion, évolution des paysages agraires, archéologie environnementale.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire